Dossier du Vendredi #10 -L’énergie nucléaire : un grand pouvoir qui implique de grandes responsabilités- Dossier du Vendredi #10


Moscou, le 24 mai 2002. Les présidents Vladimir Poutine et George W. Bush sont réunis pour signer le traité « Strategic Offensive Reduction Treaty » ou, plus simplement, le traité SORT. Celui-ci vise à réduire le nombre d'armes à têtes nucléaires que possèdent les deux puissances.

C'est le cinquième accord de ce type passé entre les États-Unis et l'URSS/Russie depuis le début des années 70. L'enjeu est colossal. En effet, lorsqu'elle est utilisée comme arme, l'énergie nucléaire a des effets dévastateurs. Toutefois, cette énergie peut, aussi, être apprivoisée et utilisée pour créer une grande quantité d'électricité. C'est ce qui se produit dans les centrales nucléaires. Mais que sait-on vraiment de ce qui se passe à l'intérieur des centrales ? Quelles sont ces fumées qui sortent de leurs grandes tours ? Y a-t-il des risques ? Quel est l'impact environnemental de l'énergie nucléaire ?

Essayons de répondre à toutes ces questions afin de mieux comprendre les enjeux de l'énergie nucléaire !

Une centrale nucléaire : comment cela fonctionne ?

Les atomes sont composés de petites particules de 3 types différents : des électrons, des protons et des neutrons. Dans une centrale nucléaire, ce sont les neutrons qui sont utilisés. Une fois accélérés, ils sont dirigés vers des atomes lourds d'uranium radioactif (un atome lourd est un atome comprenant beaucoup d'électrons, de protons et de neutrons). Quand un neutron percute un atome d'uranium radioactif, la collision est tellement violente que l'atome va absorber le neutron. L'atome comprendra alors trop de neutrons : on dit qu'il est "instable". Afin de revenir à une situation normale, de se "stabiliser", l'atome va se scinder en plusieurs morceaux : 2 atomes moins lourds (du krypton et du baryum par exemple), 2 ou 3 neutrons ainsi qu'une grande quantité d'énergie. Les nouveaux neutrons vont aller percuter d'autres atomes d'uranium, qui vont aussi se scinder et produire des neutrons et de l'énergie. Les neutrons vont une fois de plus casser des nouveaux noyaux d'uranium et ainsi de suite. Cette réaction est une réaction en chaine, une avalanche, qu'il faut à tout prix contrôler sous peine de provoquer la surchauffe du réacteur. Dans un mode de fonctionnement normal, lorsque la réaction est contrôlée, l'énergie produite par toutes ces réactions est utilisée pour chauffer de l'eau. Cette eau très chaude est ensuite mise en contact avec un autre circuit de tuyauteries, contenant lui aussi de l'eau, afin de la faire s'évaporer. La vapeur produite actionne des turbines, générant ainsi de l'électricité.

La fission de l'uranium 235

Nous venons d'expliquer la réaction à l'origine de l'énergie nucléaire. On appelle ce genre de réaction "fission nucléaire", car le noyau d'uranium 235 se scinde en deux noyaux plus légers, libérant au passage beaucoup d'énergie.  A ton avis, d'où vient toute cette énergie ?

Du fameux E=mc² d'Einstein ! Il indique que la masse peut être vue comme une énergie. Dans le cas de la réaction de fission, le noyau d'uranium et le neutron initialement présents possèdent, à eux deux, une certaine masse. Cette masse initiale totale est supérieure à celles des différents produits de la réaction de fission. Autrement dit, entre ce qu'on a au début (un noyau d'uranium et un neutron) et ce que l'on obtient à la fin (2 noyaux plus légers et 3 neutrons), on a perdu de la masse. Cette différence de masse n'a pas disparu, mais s'est transformée en énergie.

mceclip0 - 2021-05-26 12h01m32s

Schéma représentant la réaction de fission d'un noyau d'uranium 235 en un atome de krypton 92, un atome de baryum 141, 3 neutrons et de l’énergie.

©CHEMISTRY LibreTexts (modifiée). Cf. : images.app.goo.gl/PA6GJ39bZUgsiLHo8

Où trouver l'uranium 235 ?

L'uranium est un métal présent dans les sous-sols de la Terre. Lorsqu'il est extrait du sol, il contient naturellement environ 1 % d'uranium 235 radioactif et fissible – c'est-à-dire qui peut être cassé par réaction nucléaire afin de produire de l’énergie – et 99 % d'uranium 238, un autre type d'uranium, qui lui est non-radioactif et non-fissible. Le minerai d'uranium extrait n'est pas exploitable en tant que tel dans une centrale nucléaire. Il faut l'enrichir afin d'atteindre 4 % d'uranium 235 et permettre ainsi son utilisation dans les centrales.

Schéma d'une centrale nucléaire

Une centrale nucléaire est divisée en 3 parties : le réacteur nucléaire, où se passe la réaction de fission, la salle des machines, où l'électricité est générée, et la tour de refroidissement.

La fission de l'uranium 235 se déroule à l'intérieur du réacteur et libère de l'énergie sous forme de chaleur et de radiations. Grâce à l'énergie fournie par la fission, l'eau sous pression présente dans le circuit primaire du réacteur nucléaire est chauffée jusqu'à 320 C°. Tu sais peut-être que, pour cuire des pâtes, par exemple, il faut amener l'eau à 100 C° pour qu'elle entre en ébullition. Tu as peut-être aussi déjà remarqué que, quand elle arrivait à cette température, l'eau s'évaporait. Or, dans le circuit primaire d'une centrale nucléaire, l'eau est à 320 C° et reste liquide ! C'est parce qu’on fait en sorte de la maintenir sous pression, ce qui lui permet de rester liquide à de très hautes températures. Comme expliqué plus haut, en plus de l'énergie permettant de chauffer l'eau à de telles températures, la fission nucléaire produit aussi des neutrons, qui vont enclencher de nouvelles réactions de fission. La quantité de neutrons générée doit toutefois être régulée pour éviter l'emballement de la réaction et la surchauffe du réacteur à la suite d’un trop plein d'énergie. Cette régulation est rendue possible par des barres neutrophages chargées d'absorber une partie des neutrons et placées directement dans la cuve du réacteur.

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Schéma des trois parties constitutives d'une centrale nucléaire : le réacteur chauffant l'eau du circuit primaire, la salle des machines utilisant la vapeur du circuit secondaire pour générer de l'électricité et le circuit de refroidissement retransformant la vapeur du circuit secondaire en eau liquide. (©IRSN - Cf. : www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/Les-centrales-nucleaires/reacteurs-nucleaires-France/Pages/1-reacteurs-nucleaires-France-Fonctionnement.aspx#.YKu0O6EzU2w)

 

L'eau chauffée à 320 C° sortant du réacteur a un gros défaut : elle est radioactive. Elle doit donc rester confinée dans un circuit fermé pour empêcher toute contamination. Cette eau ne sert donc pas à produire directement de l'électricité. Il existe un circuit secondaire, dont on a déjà parlé auparavant, qui, lui, contient de l'eau tout à fait saine qui va s'évaporer. La vapeur ainsi produite va mettre en rotation des turbines reliées à un alternateur (qui se trouve dans la salle des machines), ce qui va permettre la production d'électricité. Une fois qu'elle a été utilisée pour faire tourner les turbines, la vapeur continue son chemin jusqu'à atteindre un troisième circuit : le circuit de refroidissement. Comme son nom l'indique, une fois arrivée à ce stade, la vapeur est refroidie jusqu'à atteindre une température inférieure à 100 C° et retourne donc à l'état liquide. Une fois condensée, l'eau du second circuit peut recommencer le cycle et être à nouveau transformée en vapeur par le circuit primaire afin de mettre les turbines en rotation et produire de l'électricité.

Le circuit de refroidissement se sert d'eau froide, ponctionnée dans un fleuve ou dans la mer, pour retransformer la vapeur en eau liquide. Afin de rester froide, l’eau peut être soit renouvelée en permanence soit maintenue à température grâce à de grandes tours aéroréfrigérantes, appelées tours de refroidissement. Les tours aéroréfrigérantes sont utilisées à Tihange, par exemple, et ne dégagent que de la vapeur d’eau.

Avantages et inconvénients

L'un des reproches principaux qui peut être fait aux centrales nucléaires est que, comme toute centrale, elles génèrent des déchets. Le problème est qu'une partie de ces déchets est fortement radioactive. Pour te donner une idée, en un an, la consommation électrique d’un habitant produit deux kilos de déchets nucléaires, dangereux à différents égards : 90% de ces déchets (les plus actifs) mettront quelques centaines d’années à devenir inoffensifs, tandis que des centaines de milliers d’années seront nécessaires pour le reste. À titre de comparaison, un habitant moyen produit 2200 kg de déchets ménagers chaque année. Le problème ne vient donc pas de la quantité des déchets, mais bien de leur dangerosité et de leur longévité. Leur gestion est donc assez délicate. Aujourd'hui, ces déchets radioactifs sont vitrifiés (coulés dans du verre), puis enterrés en attendant que soit trouvée une solution plus durable. Il est arrivé que certains déchêts soient rejetés dans les océans. Un projet examine actuellement comment valoriser les déchets (comment les réutiliser dans des centrales nucléaires ou à des fins médicales) ainsi que les manières d’en réduire la toxicité. Ce projet se nomme MYRRHA (pour « Multi-purpose hYbrid Research Reactor for High-tech Applications » ou « Réacteur de recherche multifonctionnel hybride pour applications de hautes technologies », en français) et est géré par le centre belge de recherche nucléaire. Pour l’instant, dans les centrales, 96 % du combustible usé est ré-utilisé à chaque remplacement, qui a lieu tous les 4 ans.

Un autre souci, souvent pointé du doigt, est la dangerosité des réacteurs nucléaires. En effet, si le circuit d'eau du réacteur se rompt, il peut y avoir un échappement d'éléments radioactifs dans l'atmosphère ou dans les rivières et donc une contamination de ces dernières. Dans les cas les plus graves, une fusion du cœur du réacteur pourrait se produire, ce qui aurait pour conséquence une contamination massive du site de la centrale (comme lors de la catastrophe de Fukushima en 2011 ou celle de Tchernobyl en 1986). Afin de minimiser la probabilité de ce genre de catastrophes, plusieurs sécurités sont mises en place. Tout d'abord, l'enceinte du réacteur est conçue pour résister aux séismes, aux chutes d'avions et aux attentats. Ensuite, en cas de pannes électriques, des batteries et des circuits électriques indépendants sont utilisés pour poursuivre l'alimentation. De plus, dès qu’un problème survient, toutes les barres neutrophages sont plongées dans le réacteur pour absorber l'entièreté des neutrons et empêcher de nouvelles réactions. Une explosion de la centrale nucléaire est donc impossible. Enfin, des pompes de secours sont présentes en cas de défaillance pour assurer la circulation de l'eau et permettre son refroidissement. Si, malgré toutes ces mesures, une catastrophe advient quand même, des filtres à sable sont également présents pour minimiser l'échappement de substances radioactives.

Les centrales nucléaires présentent aussi des avantages : elles n'émettent aucun dioxyde de carbone (CO2) et elles n'ont besoin que de très peu de combustible pour produire une grande quantité d'énergie. En effet, 1 gramme d'uranium 235 produit l'équivalent en énergie de 2,6 tonnes (= 2 600 kilos) de charbon ! Autrement dit, pour couvrir les besoins énergétiques annuels de la Belgique, si l’énergie nucléaire était la seule source d’énergie, il faudrait 750 tonnes d'uranium (dont 4%, soit 30 tonnes, sont effectivement de l'uranium 235 radioactif). Si l'unique source d'énergie se trouvait dans les centrales à charbon, il faudrait brûler environ 77 millions de tonnes de charbon pour subvenir aux besoins annuels belges ! Du côté des autres sources d’énergie, il faudrait 54 millions de tonnes de pétrole, 3000 km² de panneaux photovoltaïques (soit la surface d'un dixième de la Belgique) ou encore 170 000 éoliennes !

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Différentes possibilités de production d’énergie pour alimenter toute la Belgique en électricité pendant 1 an.
(Figure originale établie au depart des ressources suivantes : www.ecolodis-solaire.com/conseils/panneau-solaire-photovoltaique-fonctionnement-et-description-1/category ; www.shootlux.be/aubange-bientot-des-eoliennes/ ; www.andlil.com/guide-des-matieres-premieres-le-petrole-165711.html ; www.cargocollective.com/charbon/filter/chair/About-charbon ; fr.dreamstime.com/illustration-stock-barils-radioactifs-jaunes-image41754922).  

Et demain, la fusion nucléaire ?

Jusqu'à aujourd'hui, les centrales nucléaires se basent sur le principe que nous avons expliqué : la fission nucléaire qui comporte les différents avantages et inconvénients exposés ci-dessus. Et si on pouvait avoir tous les avantages de la fission nucléaire, mais sans aucun de ses inconvénients ? C'est possible, grâce à la fusion nucléaire !

Le principe de la fusion est le suivant : plutôt que de casser des noyaux lourds, il s'agit de fusionner des noyaux légers. Par exemple, il est possible de fusionner du deutérium (un dérivé de l'hydrogène, présent dans l'eau) et du tritium (autre dérivé de l'hydrogène, facilement accessible grâce au lithium qui est présent dans l'eau ou la terre). La fusion de ces deux noyaux légers produit un atome d'hélium, un neutron ainsi qu'une quantité phénoménale d'énergie. Ces réactions de fusion, tu y assistes déjà tous les jours. C'est en effet cette réaction qui se produit dans le soleil et les autres étoiles. Les éléments mis en jeu dans la fusion ne sont cependant pas toujours du deutérium et du tritium, mais le principe de base reste le même.

Quand est-il des risques et des avantages ? Les « déchets » sont principalement de l'hélium, un gaz non radioactif qui est justement en pénurie sur Terre (c'est ce gaz qui permet de gonfler des ballons pour qu'ils s'envolent ou qui te permet d'avoir une voix de chipmunk). Il faut toutefois noter que les neutrons libérés par la réaction sont susceptibles d'interagir avec l'environnement, produisant ainsi des éléments radioactifs. Cependant, la quantité et la durée de vie de ces éléments radioactifs devraient être largement inférieures à celles des déchets produits par la fission nucléaire. De plus, la quantité d'énergie produite est encore plus importante que celle obtenue par la fission. En effet, là où il faudrait 750 tonnes d'uranium pour produire l'électricité de tous les ménages belges pendant un an, il suffirait seulement de 3 tonnes de deutérium et 4,5 tonnes de tritium pour produire cette même énergie. En ce qui concerne les risques d'emballement, ils sont nuls. En effet, la réaction a besoin de beaucoup d'énergie pour se produire et si l'on ne fournit pas cette énergie initiale, il ne se passera tout simplement rien. Aucun risque d'emballement donc, contrairement à la fission nucléaire qu'il faut constamment contrôler.

Si la fusion nucléaire est si cool, pourquoi ne l’utilise-t-on pas déjà ? Car nous n’avons malheureusement pas encore la technologie nécessaire. Pour initier la fusion nucléaire, il faut énormément d’énergie sous forme de chaleur. Là où un neutron bien préparé suffit pour initier la fission nucléaire, il est nécessaire de chauffer le deutérium et le tritium à 100 millions de degrés pour que la réaction de fusion soit rentable. Plusieurs études sont en cours pour étudier les applications industrielles de la fusion afin de produire de l’électricité. Le projet international ITER, basé dans le sud de la France, en est d’ailleurs le leader. Qui sait, peut-être la fusion nucléaire sera-t-elle l’énergie de demain ?

Activité

N’hésite pas à regarder la vidéo « C’est Pas Sorcier » sur les centrales nucléaires ! Si tu veux en savoir plus sur les déchets nucléaires et leur traitement, « C’est Pas Sorcier » a également fait un reportage sur le sujet.


RESSOURCES


Dossier préparé par les "YoungMinds" de Liège. 

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