25 avril 1953 : la prestigieuse revue scientifique Nature publie coup sur coup trois articles qui vont révolutionner la biologie cellulaire. Ces articles, respectivement écrits par James Watson et Francis Crick, Rosalind Franklin et Raymond Gosling et Maurice Wilkins, Alec Stokes et Herbert Wilson, abordent tous les trois un sujet capital : la structure en double hélice de l'ADN.

Cette découverte est tellement importante qu'elle permettra à Francis Crick, James Watson et Maurice Wilkins de décrocher le prix Nobel de médecine de 1962. Cette percée fondamentale n'aurait cependant jamais pu voir le jour sans le fameux « cliché 51 » [1] obtenu par Raymond Gosling, sous la supervision de Rosalind Franklin, grâce à la diffraction de rayons X. C’est en partie grâce à ce cliché que James Watson et Francis Crick confirment leur modèle sur la structure en double hélice de l'ADN. Une ombre au tableau, cependant : James Watson et Francis Crick n'ont pas crédité correctement l'aide providentielle apportée par Rosalind Franklin et Raymond Gosling dans leur article, ce qui en fait, aujourd'hui encore, l'un des manquements les plus connus du genre [2].

Photo 51                                               

 [1] "Cliché 51" obtenu grâce à la diffraction de rayon-X par R. Gosling et R. Franklin.

Cf. : https://en.wikipedia.org/wiki/Photo_51

ADN

[2] Schéma de la structure en double hélice de l'ADN provenant de l'article original de James Watson et Francis Crick.

La vision, encore une histoire d'ondes

Ce qui fait la notoriété du cliché 51, et de ses auteurs, est à la fois le sujet illustré, l'ADN (ou Acide DésoxyriboNucléique), mais également la technique utilisée pour le mettre en évidence, pour "voir" l'ADN. Car contrairement à ce que l'on observe tous les jours, l'ADN est beaucoup trop petit pour être vu à l'oeil nu ou même avec des méthodes de microscopie optique classiques (c'est-à-dire avec des systèmes de lentilles permettant un grossissement). Il a donc fallu mettre en place une autre technique afin de pouvoir observer l'ADN : la diffraction par rayons X. Avant d'expliquer cette technique, concentrons nous d'abord sur ce qu'est un rayon X.

Les rayons X sont des ondes, c'est-à-dire des vibrations dans l'espace et le temps qui s'effectuent sans transport de matière. Par exemple, lorsqu'une goutte tombe dans l'eau, elle provoque une ondulation à la surface de l'eau. Cette ondulation est une onde, elle se propage sur toute la surface
du liquide, surface qui se déplace au cours du temps. Il existe bien d'autres exemples d'ondes, dont deux que tu connais certainement très bien : le son et la lumière. Le son et les ondulations à la surface de l'eau sont ce qu'on appelle des ondes matérielles, c'est-à-dire qu'elles ont besoin d'un
matériau pour se déplacer. Par opposition, la lumière est une onde électromagnétique qui a la capacité de se déplacer dans le vide. Les rayons X sont comme la lumière, des ondes électromagnétiques et font donc partie du spectre électromagnétique [3].

spectr modif

[3] Représentation du spectre électromagnétique. Les première, deuxième et troisième lignes donnent des informations sur la taille de l'onde : une représentation schématique, une taille caractéristique et un exemple de quelque chose aillant cette taille caractéristique. La dernière ligne concerne la fréquence et la gamme visible y est mise en évidence. On peut voir que les couleurs dépendent de la fréquence et que seul une petite partie du spectre électromagnétique est visible.

Cf. : https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=2974242

La différence fondamentale entre la lumière visible et les rayons X est ce que l'on appelle la longueur d'onde. La longueur d'onde (wavelength en anglais) caractérise la taille d'une onde. Reprenons notre exemple de l'ondulation à la surface de l'eau et prenons-en une photo : on peut définir la longueur d'onde comme étant la distance entre deux maxima de la hauteur d'eau. Plus la longueur d'onde sera grande et plus la distance entre deux maxima le sera aussi et, inversement, plus elle sera petite et plus les maxima seront rapprochés. Par exemple, les ondes radios (cf. : Dossier du vendredi #1) ont des longueurs d'ondes qui peuvent faire plusieurs mètres, tandis que la lumière visible se situe dans les longueurs d'ondes de l'ordre de la centaine de nanomètres. C'est d'ailleurs grâce à la longueur d'onde que l'on peut percevoir les différentes couleurs. En effet, la longueur d'onde du bleu se situe à environ 480 nm tandis que celle du rouge autour de 750 nm.

Et les rayons X dans tout ça ? Et bien ce sont des ondes électromagnétiques de longueurs d'ondes encore plus petites que celles de la lumière visible, typiquement de l'ordre du nanomètre voir de l'Angstrom (0,1 nanomètre). Cette taille est justement comparable à celle de la double hélice de l'ADN, ce qui en fait une onde parfaite pour l'étudier, mais nous y reviendrons plus tard.

La diffraction, une vraie carte d'identité

Lorsqu'elles se propagent, les ondes rencontrent régulièrement des obstacles de tailles variables. Par exemple, les ondes radios rencontrent des montagnes, ou la lumière du soleil se trouve bloquée par les arbres d'une forêt, nous permettant de profiter de leurs ombres. Les interactions entre ces obstacles et les ondes vont dépendre de plusieurs paramètres, mais notamment du rapport de taille entre l'obstacle et l'onde. On peut distinguer trois cas : 1) la longueur d'onde de l'onde est plus petite que la taille de l'obstacle, 2) l'obstacle est le plus petit, 3) les deux sont de tailles comparables. Ces trois cas vont mener à des interactions radicalement différentes. Le cas le plus habituel, celui que l'on perçoit le plus souvent, est certainement celui ou les obstacles sont beaucoup plus grands que les longueurs d'ondes. Cela arrive, par exemple, lorsque la lumière visible rencontre des objets de la vie de tous les jours. Dans ce cas, la lumière va notamment pouvoir être réfléchie par les objets. C'est d'ailleurs ce qui nous permet de les percevoir, car ils n'émettent pas eux-mêmes de la lumière. À l'autre extrême, lorsque les ondes sont beaucoup plus grandes que les objets, elles passent au travers des objets sans même les voir. Les obstacles sont donc « invisibles » pour ces ondes. C'est le cas des ondes radios et des forêts, par exemple. Les ondes radios sont tellement grandes qu'elles ne perçoivent pas les forêts et que ces dernières ne nous empêchent pas de capter nos émissions préférées. C'est également le cas de l'ADN et de la lumière visible. Les longueurs d'ondes de la lumière visible sont tellement grandes à côté de la taille de l'ADN, que cette dernière est invisible lorsqu'elle est éclairée par de la lumière. C'est pour cela, qu'il n'est pas possible d'utiliser des méthodes optiques classiques pour l'observer.

C'est là que la diffraction entre en jeu. La diffraction est un phénomène qui se produit lorsque les obstacles et les ondes sont de tailles comparables. Le phénomène en lui-même est assez compliqué, mais on peut en avoir l'intuition en imaginant ce qui se passe si on fait passer de la lumière à travers un trou et que l'on observe le résultat sur un écran situé derrière ce trou. Si le trou, l'objet, est beaucoup plus grand que la longueur d'onde de la lumière, alors tout se passe de manière habituelle. On observe alors un simple spot lumineux sur l'écran. Dans le cas contraire, si le trou est beaucoup plus petit que la longueur d'onde, alors la lumière est incapable de passer et rien n'est perceptible sur l'écran. Enfin, dans le cas où la longueur d'onde et le trou sont de tailles comparables, apparaît ce que l'on appelle un disque d'Airy [4]. Ce disque d'Airy est un cas particulier de figure de diffraction. La particularité de ces figures est qu'elles sont uniques pour chaque structure. C'est-à-dire qu'un trou circulaire formera toujours un disque d'Airy, qu'une fente formera toujours une suite de point lumineux ou qu'une double hélice formera toujours un X [5]. Les figures de diffractions sont donc une véritable carte d'identité de la structure de l'objet que l'on observe. La seule contrainte est qu'il est nécessaire d'éclairer la structure que l'on veut observer avec de la lumière dont la longueur d'onde est similaire à la taille caractéristique de la structure. C’est pour cela que les rayons X sont les seuls ondes parfaitement adaptées pour étudier l’ADN. Comme ils ont une longueur d’onde très proche de la taille de l’ADN, il forment un X caractéristique lorsqu’il éclaire la double hélice d’un brin d’ADN. C'est d'ailleurs en cela que le travail de Rosalind et Raymond est exceptionnel : parvenir à sélectionner la bonne longueur d'onde parmi l'entièreté du spectre électromagnétique est un défi expérimental en soi. On peut également noter que la diffraction par rayons X ne se limite pas à l'étude de l'ADN, mais est aussi parfaitement adaptée à l'étude des cristaux.

disque

[4] Disque d'Airy obtenu par la diffraction de lumière rouge dans un trou de 90 micromètres de rayon. Cf. : https://en.wikipedia.org/wiki/Airy_disk
 

diffraction 

[5] Figure de diffraction caractéristique d'une double hélice. La double hélice est ici composée d'un filament d'ampoule à incandescence, ce qui permet d'observer sa figure de diffraction grâce à la lumière visible. Cf. : http://physicus.free.fr/webphy/optique/ondulatoire/diffraction_ADN/diffraction_ADN.html

Activité

Fouille ta maison à la recherche d’outils qui pourraient t'aider à voir des objets très petits, comme un cheveu, et partage tes découvertes sur la page facebook de Réjouisciences !


Dossier préparé par les "YoungMinds" de Liège. 

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