Avec Yaël Nazé, portons un regard éclairé sur l’étoile de Noël...

L'étoile de Noël

Quelle vérité derrière le mythe ?



Le 21 décembre 2020 en soirée, les planètes Jupiter et Saturne seront très proches - elles n'ont plus été aussi proches depuis 1623 ! Cette "conjonction", puisqu'il faut l'appeler par son nom, est non seulement un joli spectacle visible à l'oeil nu mais aussi... une des propositions pour expliquer la fameuse "étoile des mages". Mais que sait-on exactement de cette étoile de Noël? Quelle vérité... 

A l’approche de Noël, Réjouisciences et l’astrophysicienne Yaël Nazé vous proposent de porter un regard éclairé sur l’étoile de Noël. Quelle vérité se cache derrière le mythe (s’il y en a une…) ? Dans cet article, déjà publié dans le bulletin Le Ciel de la Société Astronomique de Liège (n°572), Yaël Nazé retrace le contexte historique et légendaire, expose les faits et explore les diverses explications astronomiques possibles. Un texte à lire sans attendre, à destination de tous les amoureux du ciel et de Noël…

C’est bientôt Noël. Partout, on trouve des étoiles, sous toutes les formes. Un hommage peu étonnant, car on connaît tous l’histoire : des mages suivirent l’étoile et arrivèrent pile sur l’étable de l’enfant Jésus… ou pas. Quelle est la vérité derrière le mythe ? Y en a-t-il seulement une ? Des astronomes se sont penchés sur la question…

Le contexte

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la célèbre histoire des mages ne fait pas l’unanimité. En effet, on ne la trouve que dans un seul des quatre évangiles retenus vers 200 pour former le Nouveau Testament : celui de Matthieu. Elle existe aussi dans un évangile apocryphe, celui de Jacques, mais les similitudes avec l’histoire de Matthieu sont tellement évidentes que les hagiographes y voient une simple copie tardive. Cependant, même l’évangile de Matthieu n’a pas été écrit au moment des faits, comme les autres d’ailleurs. Il daté de l’an 70 environ. Côté historique, nulle trace non plus des mages et de l’étoile dans les rares écrits mentionnant Jésus, car ils ne se réfèrent qu’à sa période adulte. Bref, impossible de croiser les sources – on dispose d’un seul et unique texte. Que dit-il exactement ?

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Les rois mages par Herrad de Landsberg (12e siècle)
 

2.1 Jésus étant né à Bethléhem en Judée, au temps du roi Hérode, voici des mages d’Orient arrivèrent à Jérusalem,

2.2 et dirent : Où est le roi des Juifs qui vient de naître? car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus pour l’adorer.

2.3 Le roi Hérode, ayant appris cela, fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.

2.4 Il assembla tous les principaux sacrificateurs et les scribes du peuple, et il s’informa auprès d’eux où devait naître le Christ.

2.5 Ils lui dirent : A Bethléhem en Judée ; car voici ce qui a été écrit par le prophète :

2.6 Et toi, Bethléhem, terre de Juda, Tu n’es certes pas la moindre entre les principales villes de Juda, Car de toi sortira un chef Qui paîtra Israël, mon peuple.

2.7 Alors Hérode fit appeler en secret les mages, et s’enquit soigneusement auprès d’eux depuis combien de temps l’étoile brillait.

2.8 Puis il les envoya à Bethléhem, en disant : Allez, et prenez des informations exactes sur le petit enfant; quand vous l’aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que j’aille aussi moi-même l’adorer.

2.9 Après avoir entendu le roi, ils partirent. Et voici, l’étoile qu’ils avaient vue en Orient marchait devant eux jusqu’à ce qu’étant arrivée au-dessus du lieu où était le petit enfant, elle s’arrêta.

2.10 Quand ils aperçurent l’étoile, ils furent saisis d’une très grande joie.

2.11 Ils entrèrent dans la maison, virent le petit enfant avec Marie, sa mère, se prosternèrent et l’adorèrent; ils ouvrirent ensuite leurs trésors, et lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe.

2.12 Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner vers Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.

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On peut interpréter ce texte biblique de trois manières différentes. Tout d’abord, on peut accepter l’étoile comme un miracle divin. Dans ce cas, pas besoin d’aller plus loin, évidemment – par définition, un miracle n’est pas lié à un événement « classique » et doit simplement être accepté comme tel. Une deuxième possibilité est que l’étoile ne soit que symbolique. Le récit ci-dessus serait alors « juste » une histoire, destinée à convaincre son audience, les Juifs de l’époque, de devenir chrétiens puisque le Christ est le Messie attendu par eux. Et comme l’annonce du Messie impliquait une étoile (Nombres 24:17 « un astre sort de Jacob »), le rédacteur de cet évangile l’aurait ajoutée pour bien montrer que, dès sa naissance, Jésus est bien celui qui était attendu. La dernière possibilité est tout simplement qu’il s’agisse d’un événement céleste bien réel, suffisamment remarquable pour être noté.

Dans ce cas, l’astronome peut entrer en action, et chercher l’étoile en question. Il peut même l’utiliser pour dater la naissance du Christ. Eh, oui, c’est que le coquin n’est pas né le 25 décembre en 1 avant lui, ayant une semaine à peine le premier janvier de l’an*. Tout d’abord, la date du 25 décembre a été choisie au 4e siècle, pour des raisons d’évangélisation : il s’agissait de « ré-affecter » une fête païenne très suivie, liée au solstice d’hiver (le sapin « de Noël » provient d’ailleurs de cette tradition). Ensuite, c’est au 6e siècle qu’un moine, Denys le Petit, fixa le début de notre ère (l’an 1 de notre calendrier) à l’an 753 du calendrier romain – et on sait qu’il a commis quelques erreurs de calcul. Bref, la seule chose claire est que Jésus serait né quelques années avant notre ère, à une saison indéterminée (le texte de l’évangile de Luc mentionne la présence autour de l’étable de bergers avec leurs troupeaux, ce qui semble exclure l’hiver). Alors l’étoile peut-elle fournir des informations plus précises ?

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Burne-Jones, L'étoile de Bethléem, 1890
 

Les « faits »

Pour le savoir, il faut se pencher sur ce que contient le texte de Matthieu. Il recèle cinq informations :

Les personnages sont des mages venant de l’Orient, donc de l’Est : il s’agit très probablement d’astrologues babyloniens – il n’est nulle part fait mention de leur nombre ou d’un statut royal (contrairement à la légende tenace des « trois rois mages »).

Ils ont repéré un astre que ni Hérode ni les citoyens de Jérusalem n’ont vu : il s’agit donc d’un événement remarquable, suffisamment pour justifier un long voyage, mais pas trop – sinon tout le monde l’aurait vu. La luminosité n’est d’ailleurs pas précisée, et c’est une tradition ultérieure qui fera de cette étoile un phare céleste immanquable.

Le phénomène a duré un certain temps. En effet, le voyage entre Babylone et Jérusalem prend plusieurs semaines, voire quelques mois, et il faut ajouter le trajet jusqu’à Bethléem, d’où l’astre était toujours visible. L’étoile est donc apparue plusieurs fois de suite, chaque fois assez longtemps, ou une fois mais très longtemps.

L’astre a guidé les mages vers Jérusalem : soit il se trouvait dans un endroit du ciel associé, au niveau astrologique, avec la région, soit il indiquait la direction à prendre*.

L’astre se comporte bizarrement. Il « marchait devant » les mages, une chose assez difficile à comprendre pour un objet céleste, à moins qu’il s’agisse simplement de la direction de l’objet (par exemple, situé au sud depuis Jérusalem, donc indiquant la direction de Bethléem). De plus, l’astre s’est « arrêté » audessus de l’étable la plus célèbre de Bethléem.

Les possibilités célestes

Au cours des siècles, les astronomes se sont penchés sur la question de l’identité de cet astre de Noël. Des dizaines d’hypothèses ont vu le jour, certaines moins probables que d’autres… Par exemple, certains ont envisagé un météore, une aurore polaire, une étoile variable, de la foudre en boule ou la lumière zodiacale. Cela ne cadre pas vraiment avec le texte de Matthieu : météore, aurore ou foudre sont des événements courts, peu susceptibles de guider qui que ce soit durant un long voyage ; lumière zodiacale ou variation stellaire sont des événements récurrents et très peu spectaculaires. Par contre, trois familles de scénarios tiennent la route : une comète, une (super)nova, et un événement planétaire.

giotto

Giotto, chapelle des Scrovegni, Nativité – l’étoile est ici clairement une comète. Il s’agit en fait de la comète de Halley, telle qu’observée par le peintre en 1301, quelques années avant l’exécution de l’œuvre. Il n’y a donc aucun lien avec l’événement céleste d’il y a deux mille ans environ, s’il s’en est produit un.

 

Commençons par la comète. Même si ces astres ne font pas partie des « outils » astrologiques habituels, une tradition orientale les lie à la naissance ou la mort de rois : rien d’étonnant donc à ce que les mages y voient l’annonce d’un nouveau règne. D’autre part, le chemin des comètes les fait parfois rester au même endroit du ciel, quasi immobiles, pendant quelque temps, ce qui expliquerait l’arrêt rapporté par Matthieu. Mais y a-t-il eu des comètes à ce moment-là ? Pour le savoir, il suffit de consulter les bibliothèques célestes que sont les chroniques chinoises. Elles rapportent plusieurs cas à cette époque : une comète (aujourd’hui connue sous le nom de comète de Halley) en 12 avant notre ère et une comète en 4 avant notre ère qui se balada non loin d’Altaïr. La première se produisit un peu trop tôt – on ne pense pas que Jésus soit né plus de dix ans avant le début de notre calendrier. La seconde pose aussi problème : comment une comète près d’Altaïr aurait pu guider des mages jusqu’à Jérusalem ? Il n’y a aucun lien astrologique évident, et le mystère reste donc entier… Par contre, certains ont suggéré que la comète de Halley aurait pu inspirer, sinon les mages, le rédacteur de l’évangile : en effet, elle réapparut en l’an 66, se déplaçant d’abord vers l’ouest puis ne bougeant pas beaucoup – elle était alors bien visible dans le ciel méridional, dans la direction de Bethléem depuis Jérusalem. En outre, il y eut quasi à la même époque une grosse délégation arménienne qui se rendit à Rome avec des cadeaux et ne revint pas par le même chemin au retour : peut-être que la coïncidence des événements et leur caractère spectaculaire et connu de tous dans la région où l’évangile a été écrit, auraient pu inspirer le rédacteur pour écrire peu après son histoire « exemplaire ». D’autant plus que cette coïncidence s’était produite une septantaine d’années plus tôt – passage de la comète de Halley en 12 avant notre ère et visite d’une délégation étrangère venue rendre hommage à Hérode deux ans plus tard. Bref, l’occasion était suffisamment belle pour être inspirante.

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Peinture de la catacombe Priscilla (détail)
 

Autres événements célestes possibles : les novæ et supernovæ. Les premières se produisent dans des systèmes doubles, composés d’une étoile « normale » et d’un petit cadaver stellaire, une naine blanche, qui attire et accumule la matière de son compagnon. Quand l’accumulation est trop importante, une réaction nucléaire explosive se produit, générant beaucoup de lumière – un événement, parfois récurrent, rapporté sous le nom de nova. Quant aux supernovæ, elles ont deux origines : soit l’explosion finale marquant la mort d’une étoile massive, soit la fin d’une naine blanche ayant avalé trop de matière. Dans un cas comme dans l’autre, c’est sûr, l’apparition d’une étoile « nouvelle » possède un côté spectaculaire qui siérait bien à l’étoile de Noël… Mais y en a-t-il eu à cette époque ? Oui, si l’on en croit les Chinois : un objet apparut près de la tête du Capricorne en 5 avant notre ère. Il est désigné par un nom souvent utilisé pour désigner une comète mais aucun mouvement par rapport aux étoiles n’est précisé, ce qui est bizarre pour un tel astre mais typique des (super)novæ. Il pourrait donc s’agir d’une simple erreur de vocabulaire. L’objet serait même représenté dans une fresque ornant la catacombe de Priscilla, à Rome – une œuvre montrant la sainte famille et les bergers…

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Galaxie d'Andromède

 

Supposant une nova, certains astronomes ont donc cherché à cet endroit du ciel un couple stellaire pouvant être responsable de la chose, mais aucun n’a été identifié (par exemple, la nova DO Aql a bien été proposée, mais a dû être rejetée car ses caractéristiques ne sont pas compatibles avec une nova récurrente). Pis : il n’y a aucun lien évident, au niveau astrologique, entre cet endroit du ciel et la Judée/Palestine – là aussi, difficile de savoir comment les mages auraient déduit où aller. Côté supernova, une proposition n’est pas passée inaperçue : la possibilité d’une supernova ayant explosé… dans la Galaxie d’Andromède. Difficile d’en retrouver les traces (un « résidu de supernova »), même avec nos moyens actuels, mais une telle supernova concorde avec quelques points du texte de Matthieu. Tout d’abord, la Galaxie d’Andromède passait alors non loin du zénith de Bethléem, elle aurait donc pu être exactement « au-dessus » de la célèbre étable. De plus, si l’on accepte que la Terre est le reflet du ciel, comme disaient les Chinois, il est amusant de constater que les mages auraient éventuellement pu être guidés par cette supernova : la différence en longitude entre la Mésopotamie et la Judée/Palestine correspond en effet quasiment à la différence en ascension droite** entre la position du Soleil à l’équinoxe de printemps (le repère typique de l’équateur céleste) et la galaxie d’Andromède. De plus, Andromède était enchaînée à un rocher de Jaffa (commune de Tel-Aviv) lorsqu’elle fut sauvée du monstre par Persée : il y a donc bien un lien entre la constellation et la région.

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Vue d’artiste d’une nova
 

Seul problème de cette solution explosive, nova ou supernova : l’astrologie mésopotamienne s’intéressait aux planètes, pas aux objets nouveaux… Comment l’apparition d’une (super)nova, aussi séduisante soit-elle, a-t-elle pu être interprétée dans un contexte qui ne les (pré)voit pas ? De plus, pour une supernova dans Andromède, l’événement aurait été à la limite de visibilité à l’œil nu, donc pas très remarquable. Certes, cela pourrait expliquer pourquoi Hérode et ses ouailles n’ont rien remarqué, mais il faut quand même que les mages l’aient repéré, eux, et y accordent de l’importance.

Reste donc la solution favorite des astronomes : l’événement planétaire. Il faut dire qu’à l’œil nu, étoile et planète se ressemblent – ce n’est qu’un petit point brillant dans les deux cas! – et que l’astrologie mésopotamienne se base sur les mouvements des planètes.

Dans ce cadre, il faut mentionner le passage de certaines planètes par des « points stationnaires » : elles ne bougent quasiment plus par rapport aux étoiles, semblant donc s’arrêter, ce qui justifierait le texte de Matthieu… sauf que ce sont des événements récurrents, ce que savaient bien les mages mésopotamiens de cette époque ! Rien d’extraordinaire, donc : cet événement parfait se révèle donc être une impasse.

Il existe heureusement d’autres possibilités, mais elles impliquent deux planètes, alors que le texte de Matthieu parle d’un seul astre… Certains ont ainsi proposé une observation d’Uranus : la planète se trouvait près de Saturne en 9 avant notre ère, et près de Vénus en 6 avant notre ère. Une solution élégante, certes, mais peu évidente. Découverte officiellement au 18e siècle avec un télescope, Uranus est de temps à autre visible à l’œil nu : Galilée l’aurait d’ailleurs observée, ainsi qu’Hipparque… sans toutefois se rendre compte de ce qu’ils voyaient. Néanmoins, son éclat est minimal, et il serait extraordinaire qu’elle ait non seulement été repérée mais en plus identifiée comme planète et interprétée comme l’avènement d’un « grand roi des Juifs » ! Il y eut aussi plusieurs passages de planètes, notamment Jupiter, non loin de Régulus, étoile brillante de la constellation du Lion. Jupiter est l’étoile des rois, et le Lion est souvent considéré lui aussi comme signe de royauté ; de plus, il est parfois associé à la Judée. Parmi ces événements, les plus remarquables sont les conjonctions, dans le Lion donc, entre Vénus et Jupiter, c’est-à-dire que ces deux planètes sont apparues près l’une de l’autre (et même très près en juin de l’an 2 avant notre ère). Là, impossible de rater l’événement : Vénus et Jupiter sont les astres les plus brillants du ciel, après le Soleil et la Lune ! Bref, le message semble cette fois assez clair mais par contre, tout cela s’est produit entre 2 et 3 avant notre ère et l’on pense que Jésus est né avant la mort d’Hérode, qui eut très probablement lieu en 4 avant notre ère. ¡Caramba !, encore raté ! Il existe une autre possibilité. La Lune occulta par deux fois Jupiter (elle le cacha en passant devant, en d’autres termes) en 6 avant notre ère. Ces astres se trouvaient alors dans la constellation du Bélier, parfois considérée comme associée aux Juifs – on peut donc imaginer une interprétation possible. Par contre, si ce genre d’événement est joli, les astronomes amateurs aimant d’ailleurs les photographier, il est loin d’être exceptionnel et certainement pas très remarquable à l’œil nu. Plus problématique encore, l’observation elle-même était quasi impossible. La première occultation eut lieu le 20 mars, alors que Jupiter, Lune et Soleil se levaient : tout était perdu dans l’aube brillante. La seconde eut lieu le 17 avril vers… midi – encore pire, évidemment, côté luminosité !

Reste le meilleur scénario : une triple conjonction entre Saturne et Jupiter qui s’est produite en 7 avant notre ère dans la constellation des Poissons. Saturne est considérée comme l’étoile du Messie, Jupiter comme celle des rois, et la constellation des Poissons est bien connue pour abriter la « maison des Juifs » : la combinaison des trois offre donc un message évident pour tout astrologue de l’époque. De plus, l’événement est rare. En effet, Saturne fait un tour de la voûte céleste en 29,5 années et Jupiter en 12 ans. Des conjonctions se produisent donc régulièrement, tous les 20 ans environ, mais pour qu’il y en ait trois qui se suivent, il faut en plus que les planètes passent alors par leurs points stationnaires (donc se trouvent en opposition, c’est-à-dire qu’il y ait un alignement Soleil-Terre-Jupiter-Saturne), ce qui ne se produit que tous les 120 ans. Évidemment, la triple conjonction peut a priori se faire dans n’importe quelle constellation du zodiaque : la chose n’a lieu dans les Poissons que tous les 796 ans! Mieux encore : pour celui qui possède des modèles planétaires précis, cet événement peut être calculé. À l’époque, seuls les Mésopotamiens disposent de ce genre de choses, et on a retrouvé une tablette babylonienne qui en parle – nul doute que les mages devaient être impatients de vérifier cette prédiction théorique pour le moins particulière.

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Cette hypothèse de la triple conjonction est en fait assez ancienne. Il semble que le prince d’Urbino ait demandé en 1465 à l’astronome Regiomontanus de calculer la date de cet événement, ce qu’il refusa (l’astronomie ne devant pas servir à ce genre de bêtises selon lui). En 1604, Kepler observa une conjonction entre Jupiter et Saturne en même temps qu’une supernova, qu’il interpréta alors comme conséquence de la conjonction (une erreur au niveau astronomique – c’était un pur hasard, en fait – mais une erreur peut-être compréhensible vu le manque d’observations de novæ et supernovæ sous nos latitudes). Connaissant les connotations astrologiques de ces planètes, Kepler se dit que ce genre de chose avait pu se produire auparavant, à la naissance du Christ, une supernova expliquant la fameuse étoile de Noël. Aujourd’hui, une série d’astronomes ont repris la chose à leur compte, et répandent la bonne parole à son sujet (en ayant éliminé la supernova, évidemment).

Seules incompatibilités avec le texte de Matthieu : les deux planètes ne se sont jamais approchées jusqu’à se confondre en un astre unique car l’alignement resta imparfait ; d’autre part, l’allusion à « marcher devant » reste assez mystérieuse. Autre problème : les planètes furent perdues dans la lumière solaire durant le reste de l’hiver, et lorsqu’elles redevinrent visibles, Mars les accompagnait, or cette planète a mauvaise réputation – comment interpréter l’annonce du Messie en présence de la maléfique planète ? Par contre, côté astrologique (et en particulier astrologie mésopotamienne), on est blindé avec les trois annonces simultanées – roi + messie + Judée/ Palestine. Côté « arrêt » au-dessus de la crèche tout va bien aussi, puisqu’on utilise les points stationnaires. Côté durée, aucun problème non plus puisque tout cela dura six mois : premier rapprochement entre les deux planètes le 27 mai, deuxième le 5 octobre et troisième le 1er décembre – et entre ces dates, les deux compères planétaires ne s’éloignaient guère. D’où le statut de favori de cette explication… imparfaite.

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Conclusion

In fine, il faut bien avouer que l’on n’est pas beaucoup plus avancé. Certes, quelques événements célestes (passage d’une comète, [super]nova, ou conjonction planétaire) sont possibles, mais l’ambiguïté persiste car jamais on ne trouve une solution répondant à tous les critères. Il est donc impossible de définir « l’» étoile de Noël. La date de naissance de Jésus ne sera pas déterminée astronomiquement… et on peut même se poser la question des motivations profondes à vouloir à toute force harmoniser récit biblique et données scientifiques. Il ne nous reste qu’à rêver de ces riches Orientaux amenant des cadeaux, en grignotant une galette… des rois (mages), évidemment.

 

Notes

* À noter que l’évangile de Matthieu parle d’un astre vu « en Orient », soit à l’est – la direction opposée de celle de Jérusalem… Certains ont cependant interprété ce passage comme l’observation d’un lever héliaque, soit la première visibilité d’un astre, le matin juste avant l’aube.

** Coordonnée mesurée le long de l’équateur céleste, analogue de notre longitude. À noter toutefois que les Mésopotamiens n’utilisaient pas ce type de coordonnées : ils mesuraient les choses le long de l’écliptique, le chemin apparent du Soleil parmi les étoiles (en réalité, la projection du plan de l’orbite terrestre dans le ciel).

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